30 Apr
30Apr

Hier, dans ma routine de lecture audio, j'ai cliqué sur le titre Les 48 lois du Pouvoir de Robert Greene parce qu'il se trouvait parmi les suggestions générées automatiquement et faites en regard de mes dernières lectures. L'écoute a duré une heure (je n'ai pas pu tenir plus longtemps) et a suscité en moi l'envie de réagir d'emblée à chaud sur le premier chapitre de ce livre. Il va sans dire que j'irai au bout de l'ouvrage afin de revenir éventuellement sur les assertions cinglantes que je m'apprête à faire ci-dessous. 

Commençons par la couverture. Ce rouge vif contrastant avec ce bleu nuit, qui ne sont pas sans rappeler la couleur de ce fier American Flag, me font dire que l'approche risque d'être agressive, ou du moins, superlative/flamboyante/grossière. 

J'ai dit qu'on ne jugeait pas un livre à sa couverture, n'est-ce pas? Parfois, on pourrait... et bien que je m'en sois bien gardée cette fois encore, en me disant que c'était trop gros pour être vrai, je dois bien reconnaître que de temps en temps, les préjugés flirtent de près avec la réalité. 

Louis-Philippe en Gargantua 

Les 48 lois du pouvoir, c'est sans surprise une succession de comportements que l'auteur vous enjoins d'adopter si vous avez l'ambition de gravir l'échelle sociale sans vous heurter à un plafond de verre. Le ton est donné dès le début, il faut calculer, contrôler, maîtriser tout ce et ceux qui nous entourent et ne donner sa confiance à personne, en somme, une attitude dénuée de générosité, d'altruisme et de vérité. L'auteur va justifier ses préceptes en arguant qu'il s'agit des pouvoirs des Dieux, que certains hommes ont acquis par le passé d'ailleurs. Il cite notamment l'Ulysse de Homère, cet "homme aux mille ruses" qui utilise la manipulation contre les Dieux afin de leur prendre le pouvoir.

Ainsi l'on remarque que la posture initiale du narrateur est déjà provocatrice et guerrière. L'auteur n'est pas en paix lorsqu'il couche ses lignes car il reconnaît dès les premières pages que la soif de pouvoir rassasiée devient grisante, et que la certitude de rester puissant est absolument bancale... Donc en gros tu deviens dépendant d'un truc qui va te pourir la vie parce que tu sais que tu peux le perdre à tout moment et que tes amis vont potentiellement te trahir, donc tu vas être méfiant voire parano parce que tu vas susciter de la jalousie et qu'en plus de vas devoir te comporter comme un FDP avec eux pour leur passer l'envie de te surpasser. Paye ta vie de merde...

Je n'en suis qu'au premier chapitre mais j'ai déjà lâché quelques jurons à haute voix au cours de la lecture pour signifier mon désaccord avec les piliers qui composent l'introduction de ce livre. Je vais quand même me faire cette purge jusqu'au bout parce que je n'aime pas rester trop longtemps dans le confort de mes certitudes. Une surprise peut arriver parfois, si on accepte de gratter la croûte et d'aller au fond des choses. Mais rien n'est sûr.

En attendant que j'aboutisse ma lecture, permettez-moi de vous suggérer un autre livre dont les enseignements me semblent bien plus vertueux donc plus solides. Vous l'avez certainement rencontré lors de vos années lycée en cours de français, et malheureusement, vous ne l'avez pas poncé suffisamment pour en tirer tout le suc. Vous avez été orienté dans la réception de cette oeuvre, on vous a sélectionné des passages afin que vous puissiez pousser la branlette jusqu'à la virgule de la prose balzacienne (ce qui n'est pas un mal en soi). Hélas, cette approche scolaire vous aura gâché l'opportunité d'explorer le livre par vous même et d'en extraire l'instruction dont je vais vous faire part ci-dessous. 

Pour ma part, j'ai été exempté de son étude, ayant fréquenté un lycée professionnel après la troisième. Et cela est une chance car j'ai pu découvrir Le Lys dans la Vallée, lors d'un après-midi d'ennui, au mois de Juillet 2004. Laissez-moi vous raconter cette anecdote qui vaut son pesant d'or. 

A cette époque, je n'avais aucune inclination pour la lecture. J'avais d'ailleurs été suffisamment habile pendant ma scolarité pour ne jamais lire aucun livre qu'on m'avait intimé d'étudier. J'assumais pleinement les cartons que je récoltais à l'issue des évaluations sur ces satanées fiches "lecture". Pourtant j'aimais les mots. J'avais un dictionnaire sous ma table de chevet et j'avais plaisir à le consulter. J'aimais par dessus tout apprendre proverbes et adages, telles des formules magiques qu'un jour, je parviendrais - je l'espérais - à lâcher nonchalamment au cours d'une discussion. Mais je n'en demeurais pas moins inculte et cela me faisait rougir lorsque j'étais en contact avec certains amis. 

Cet été 2004 donc, je venais d'obtenir mon BEP cuisine et je m'apprêtais à passer des vacances sans partir, ponctuées de missions "en extra" avec des traiteurs de mariage, payées au black. Je jouissais donc de temps morts, plus ou moins longs durant lesquels, je me faisais rôtir au soleil et buvais du thé. 

Ah! et aussi, il y a un détail que je n'ai pas évoqué et qui pourtant est central dans cette histoire : cet été là, je tombais amoureuse pour la première fois de ma vie et cela commençait à tourner à l'obsession.


Je me trouvais sur un transat dans le petit jardinet de mes parents. Je regardais le vide et ressassais l'image de cet être aimé dont je ne savais que faire. Je n'osais en parler, d'ailleurs, je n'aurais pas su en parler tant tout ce qui se passait en moi m'était étranger. 

Ma mère se trouvait à côté de moi. Habituellement indifférente aux états d'âme d'autrui, mon inertie sembla pourtant l'interpeller suffisamment pour qu'elle me suggère d'ouvrir un livre. Je crois qu'elle avait oublié que je n'aimais pas ça. 

Etonnament, cette idée ne me scandalisa pas, bien au contraire! J'eus comme un élan lorsque j'ouvris la trappe du grenier et commençai à gravir l'échelle à coulisse qui me mena directement face à un gros carton. C'était à l'intérieur que j'allais plonger mes mains à l'aveugle et pincer au hasard un livre de poche qui allait devenir le livre le plus important de ma vie. 

Lorsque j'exposai ma trouvaille l'air triomphant, ma mère dit "Ah... Balzac..." et fit une grimace qui semblait dire "tu vas bien te faire chier". 


Le propos de cet article vous aura fait deviner que c'est tout le contraire. Balzac est devenu ma référence en bien des domaines, à commencer par la compréhension des moeurs et leur impact dans la société. C'est un sujet qu'il maîtrise parfaitement tout en ayant été, tout au long de sa vie, un vrai handicapé social, perçu comme un goujat dépourvu de délicatesse. 

Bien qu'il en disserte dans bon nombre de ses romans, je pense que le Lys dans la Vallée, pourvoit généreusement à tous les questionnements d'un homme désireux de se grandir, non seulement socialement mais aussi moralement.

Pas besoin de plan machiaveliques suggérés par Greene pour prendre de la hauteur. Pas besoin de prostituer ce que vous êtes profondément, ni de jouer aux jeux de dupes. Madame de Morsauf, comtesse dans le roman va livrer au personnage principal dans sa première lettre, ce qui fera de lui un être brillant et ascendant. Il n'est pas question d'un mode d'emploi à suivre stricto sensu mais bien d'une compréhension profonde de ces codes. Je vous livre ci-dessous, certains passages.

"

Cher, les lois ne sont pas toutes écrites dans un livre, les mœurs aussi créent des lois, les plus importantes sont les moins connues ; il n’est ni professeurs, ni traités, ni école pour ce droit qui régit vos actions, vos discours, votre vie extérieure, la manière de vous présenter au monde ou d’aborder la fortune. Faillir à ces lois secrètes, c’est rester au fond de l’état social au lieu de le dominer.  (...)

En considérant ainsi la société dans laquelle vous voudrez une place en harmonie avec votre intelligence et vos facultés, vous avez donc à poser, comme principe générateur, cette maxime : ne se rien permettre ni contre sa conscience ni contre la conscience publique. Quoique mon insistance puisse vous sembler superflue, je vous supplie, oui, votre Henriette vous supplie de bien peser le sens de ces deux paroles. Simples en apparence, elles signifient, cher, que la droiture, l’honneur, la loyauté, la politesse sont les instruments les plus sûrs et les plus prompts de votre fortune. Dans ce monde égoïste, une foule de gens vous diront que l’on ne fait pas son chemin par les sentiments, que les considérations morales trop respectées retardent leur marche ; vous verrez des hommes mal élevés, mal-appris ou incapables de toiser l’avenir, froissant un petit, se rendant coupables d’une impolitesse envers une vieille femme, refusant de s’ennuyer un moment avec quelque bon vieillard, sous prétexte qu’ils ne leur sont utiles à rien ; plus tard vous apercevrez ces hommes accrochés à des épines qu’ils n’auront pas épointées, et manquant leur fortune pour un rien ; tandis que l’homme rompu de bonne heure à cette théorie des devoirs, ne rencontrera point d’obstacles ; peut-être arrivera-t-il moins promptement, mais sa fortune sera solide et restera quand celle des autres croulera ! (...)

Chez beaucoup de personnes élevées dans ces traditions, les manières sont purement extérieures ; car la politesse exquise, les belles façons viennent du cœur et d’un grand sentiment de dignité personnelle ; voilà pourquoi, malgré leur éducation, quelques nobles ont mauvais ton, tandis que certaines personnes d’extraction bourgeoise ont naturellement bon goût, et n’ont plus qu’à prendre quelques leçons pour se donner, sans imitation gauche, d’excellentes manières 

"

Ainsi, ces mots propose une approche d'autant plus efficace et qui ne souffre d'aucune perversion. Henriette de Morsauf voit à la perfection ce qu'un coeur honnête et noble peut générer en société. Elle comprend aussi que le temps sera l'allié le plus sûr de son nouveau poulain jeté telle une vierge dans le monde. Ce coeur dont elle parle ne saurait être comparé à de la naïveté ou de la générosité aveugle ; il s'agit plutôt d'un sens de l'honneur puissant. Je vous invite à lire cette lettre dans son entiereté, elle vient clore la première partie de ce roman ou introduit la deuxième (je ne m'en souviens plus). Vous y puiserez non seulement des clés pour vous élever socialement mais également une inspiration qui viendra nourrir votre grandeur d'âme. Et tant que vous y êtes, lisez ce roman tout simplement. Lisez-le sans chercher, laissez les mots venir vous frapper avec leur sens, écoutez les sons que certains font et vous comprendrez pourquoi je suis tombée sous le charme de cet écrivain sans rien en connaître.  Balzac est excellent car ses oeuvres ont résisté au temps et l'ont éprouvé. Il est excellent car il sait peindre des âmes complexes, percer leur mystère, décrypter la teneur d'un regard ou d'une inflection de voix, d'un mouvement inconscient qui n'aura duré qu'une fraction de seconde mais qu'il prolonge, étire, jusqu'à en comprendre l'essence.

Lisez donc ce Lys, puis allez piocher un peu d'Eugénie Grandet, Séraphîta, Mémoires de jeunes mariées, la Maison Nucingen, La fille aux yeux d'or, Sarasine, La vendetta, Splendeurs et misère des courtisanes...

Explorez tant que vous vivez son univers réaliste, intemporel, qui vous fera prendre conscience de l'humilité, de la patience, de la résilience, de la force de travail et de la discipline qu'il faut pour réaliser un chef d'oeuvre tel que La comédie Humaine. Et que cela soit pour vous un exemple à suivre.


A bientôt !


Barbel, pour vous servir



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