Une fois n'est pas coutume, je vais ici aborder un sujet avec lequel, bon gré, mal gré, je suis désormais familière.
Par un concours de circonstances, je me suis trouvée à accompagner une amie au casino : on lui avait offert un dîner pour deux personnes ainsi qu'un bon de 30 euros pour venir découvrir le lieu estampillé Pasino, situé à une trentaine de minutes de Lyon.
Mon amie, n'étant pas non plus très friande de ce genre d'atmosphère m'avait demandé comme une faveur de venir partager ce présent avec elle, ayant été surprise de constater que la validité de son bon cadeau allait expirer sous peu... et qu'elle n'allait plus pouvoir être en mesure de renouveler sa gratitude par un retour d'expérience, à la personne qui l'avait généreusement gâtée un an plus tôt.
Nous avons donc pris la route ce samedi 30 juillet à 20h45. Pour l'occasion, nous avions fait un effort dans nos toilettes d'apparat, ayant à l'esprit tels les culs terreux originels que nous sommes, qu'un lieu comme celui-ci méritait un soin particulier et qu'il fallait bien s'endimancher pour ne pas avoir l'air trop gauche parmi le luxe, l'argent et ces mondanités raffinées. Puissiez vous déjà percevoir l'ironie dans cette dernière phrase : ceux qui ont fréquenté un casino récemment ont dû la goûter de plein fouet.
Car il n'est chose plus laide et de plus mauvais goût qu'un casino moderne. Et ce dès le parking d'une banalité affligeante qui viendra contraster avec un decorum tape à l'œil dès l'entrée.
Les plafonds altiers pourraient nous donner des ailes, comme cette porte coulissante rotative, encadrée de colonne style antiquité et ces larges baies vitrées en forme de voûte.
Mais il n'en est rien, car cet environnement n'est que du vernis, le bâtiment n'est qu'un assemblage de matériaux et de matières bons marchés, enjolivés grossièrement à coups de peinture dorée et de moulages approximatifs en plâtre.
Le beau, le grandiose, le luxe ont une odeur : la pierre solide, le marbre parfume l'atmosphère d'une fragrance fraîche et subtile : comme dans une église, un château, cette odeur pour sûr, il vous est arrivé de la respirer.
Mais les erzats de richesses, les parures factices semblent inertes et sans âmes, elles annihilent les autres sens, et parviennent à peine à tromper la vue.
Après avoir converti le bon cadeau en tickets de jeux, nous pénétrons à l'intérieur. Nous avons l'air éduqué à côté des autres clients qui n'ont eu aucun égards pour leur tenues vestimentaires. Ils sont venus pour jouer, attirés par les néons clignotants, et séduits par les faux semblants barbares de l'abondance. Quel désœuvrement, quelle solitude! Ils n'ont même plus le chic d'avoir l'air aisé et présentable.
Postés face à leur machine électronique, ils pressent frénétiquement la touche "Spin", nourris par l'étoffement du montant à 5 chiffres qui s'affiche en haut de l'appareil. Cela correspond à une somme virtuelle dont la devise m'est inconnue. Beaucoup de chiffres, comme pour exciter l'appétit et faire miroiter une richesse mirobolante.
Nous nous installons au bar pour consommer un verre, afin de commencer à prendre nos marques tant bien que mal. Ce lieu ne nous impressionne pas mais nous désole, nous avons comme une réticence à nous y sentir bien et à y prendre part. Alors, nous promenons nos yeux de haut en bas, afin de se décider à essayer quelque chose, nous optons pour une version numérique de la roulette mais avant même de pouvoir s'installer, mon amie se rend compte qu'elle a perdu les tickets.
Fait étrange, elle les avait soigneusement glissés dans son passeport au fond de son sac et pourtant, ils semblent s'être volatilisés.
Nous regardons autour de nous : rien à signaler, les clients fourmillent comme en terrain conquis. Les machines clignotent, et le silence de ce lieu m'apparaît tout à coup désagréable.
Le son des jetons qui tombent telle une pluie métallique depuis les machines à sous comme le "rien ne va plus" du croupier n'existent plus. Cet univers tout numérique a même réussi à anéantir l'aspect folklorique du lieu.
Et cela contribue à rendre l'expérience encore plus amère.
La solitude et le désenchantement de ces débiteurs me semble encore plus cruels : eux qui ne trouveraient même plus le charme du bruit, du mouvement, du vivant en lot de consolation.
L'on vient au casino non plus pour jouer, non plus pour se sociabiliser, mais pour gagner égoïstement des sommes. Puis s'en aller.
Peut-être, ai-je nourri trop de fantasme sur le casino, tandis que mon imaginaire se figurait un univers grandiose decrit de façon sublime dans Memoires d'un tricheur de Sacha Guitry.
Il aurait peut-être fallu arrêter le temps pour que je puisse moi aussi découvrir des étoiles dans les yeux, ce monde atypique de la nuit, de l'argent, et des tricheurs soigneusement maquillés.
Mais puisque l'heure est à la grossièreté et au barbarisme, le diable ne prend même plus la peine de se grimer pour séduire. La masse a appris à se contenter de la médiocrité et à l'accepter comme une norme.
Et bien que le casino ait toujours été un lieu commun pour décrire les prémices de la déchéance, il n'en demeure pas moins que sa forme actuelle témoigne d'un laisser-aller et d'un manque d'exigences généralisé.
Bien à vous !